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Interview de Frédéric Serve

Dossier de Presse
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« Enterrez nos chiens » est un film dont vous avez écrit le scénario, dont vous avez signé la réalisation mais aussi l’image, en tant que directeur de la photographie et j’ai appris par la production que vous étiez un des associés de celle-ci... Pourquoi une telle addition ? Vous ne faites confiance à personne ?

Ce n’est pas exactement cela ! Je suis directeur de la photographie, c’est mon métier, c’est à dire que j’ai trouvé dans le métier de l’image le fil que je souhaitais tirer dans le cinéma. C’est par ce fil que j’ai approché le cinéma tout entier mais c’est aussi en tirant ce fil que la pelote toute entière est venue.
En ce qui concerne « enterrez nos chiens », cette addition est venue tout naturellement. Aussi dans une volonté de maîtrise, de vision d’ensemble et, finalement, de maîtrise de l’ensemble. Et puis, très concrètement, cela donne des processus de décisions bien plus rapides, il n’y a plus aucun obstacle autres que les obstacles que la réalité met sur notre chemin...

C’est à dire ?

Des obstacles économiques, le principe de réalité, tous ces trucs avec lesquels il faut faire... Sur ce tournage toute l’équipe ne travaillait que pour le film, puisque j’étais le référent de chaque poste soit en tant que producteur, soit en tant que directeur de la photographie, soit en tant que réalisateur.
A moi de faire en sorte que les équilibres entre la création du film, la réalité économique et les contingences techniques restent tendus mais harmonisés.

N’est-ce pas trop ?

Ca le vaut largement. Toute proportion gardée, je donnerais l’exemple de Chaplin, à la fois comédien, scénariste, réalisateur, producteur, et compositeur... et je vous avouerais que, outre les films eux-mêmes, les génériques des films de Chaplin m’émeuvent, me touchent pour cela. Quelle maîtrise ! J’ai le sentiment d’en être encore très loin.

Ce qui me frappe dans « Enterrez nos chiens », c’est la très grande originalité de sa forme, de son dispositif avec, pourtant, en contrepoint quelque chose de très classique...

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C’est exactement ça oui. C’est un résultat presque mécanique de l’écriture. Il y a d’abord les voix off qui prennent en charge l’histoire à raconter. En première analyse, c’est un récit classique parce qu’il emprunte à une mythologie qui est celle de l’ogre, de la princesse, de l’enfant-prince, etc...
Mais aussi c’est un film qui raconte une histoire. Et je crois profondément que si on raconte une histoire, il n’y a d’autre choix que d’être classique, soit de façon très instinctive en écrivant tout en prenant appui sur les histoires que l’on nous a racontées quand on était enfant et qui ont laissées une trace – simplement parce qu’elles étaient « bien » écrites, ces histoires.
Soit de façon plus pensée, plus structurée, parce que l’art de raconter une histoire, de tenir son auditoire, de le toucher, de l’émouvoir est un art passionnant. Si on raconte une histoire, si elle est bien racontée, elle est de forme classique. Attention « classique » n’est pas un gros mot ! (rires) on le confond souvent avec l’académisme, je parle bien d’une structuration classique d’un récit...
Parallèlement le travail de l’image, du découpage s’est libéré de la forme classique pour donner une toute autre dimension à l’histoire. Une dimension anthropologique d’abord, une dimension d’enquête et de résolution cinématographique ensuite. J’ai vraiment cherché à raconter par l’image ce que les voix ne pouvaient prendre en charge.
Les traces laissées par le drame d’abord puis le film prend la forme d’une enquête jusqu’à ce que tout prenne vie et donne la clef qui avait échappé aux protagonistes de l’affaire.

On y voit effectivement trois formes de cinéma : un documentaire, puis un film prenant une forme étrange, une forme d’essai cinématographique et enfin, une fiction plus traditionnelle.

C’est ça oui.

Est-ce que ce choix, cette construction vous sont tout de suite apparus évidents ?

Non... je crois que la première chose sur laquelle j’ai travaillée en sachant qu’il y avait là le film que je cherchais à faire, ce sont les photographies de Francesca Woodman. Des autoportraits qu’elle a réalisés très jeune. Dans certain cas, on la voit poser dans des maisons en ruine, dans des poses figées, le regard planté dans l’objectif de son appareil. L’affiche de « enterrez nos chiens » est une citation du travail de Francesca Woodman, jusque dans sa blouse... Ces images, ce regard planté dans l’objectif me sont apparus comme des figures de la reconstitution policière, le regard paraissant demander si la pose est bien la bonne, « est-ce bien cela ? »
Le documentaire et la réponse de la fiction sont venus pour organiser le récit autour de ces reconstitutions et de ces voix.

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Les emprunts aux documentaires sont particuliers, on est loin du souci de réalisme, de l’âpreté du réel, de la caméra portée... on est ici du côté d’une photogénie et d’un esthétisme...

La question du documentaire et de la fiction est LA question du cinéma de ces dernières années. Mais une fois que l’on a dit ça, on n’a rien dit.
L’esthétisme dont vous parlez est sans doute une déformation professionnelle de directeur de la photographie mais c’est aussi une forme de réponse, celle du partage de la dignité esthétique avec ce que l’on filme. C'est, pour moi, la part active de la fiction dans le documentaire.

Pour en revenir plus précisément à « enterrez nos chiens », ce qui est frappant également c’est que l’exigence du film a rencontré le public et un succès d’estime très large. Pourtant, j’y vois une forme presque de prototype tant je peine à y voir une filiation dans le cinéma...

Pourtant il y en a. Un film dans le traitement de l’image, ou plus exactement la proposition d’images peut paraître surprenante, voire transversale mais qui serait porté par un récit, une histoire, donnée par la voix off. Et que cette histoire réponde à une structure classique... Il y a bien sûr « La jetée » de Chris Marker. Difficile de faire un film en suivant cette filiation après celui-là sans tomber dans la redite, la citation... et votre question ainsi que les nombreuses rencontres et débats avec le public me confortent sur l’originalité de « enterrez nos chiens » : le film de Chris Marker n’est jamais cité et lorsque j’en parle on y voit un lointain cousin plus qu’une matrice. Je le vis comme une réussite.
C’est une filiation que je revendique mais qui n’écrase pas le film.
Pour l’écriture des voix, il y a une filiation induite, une filiation de goût avec la littérature américaine.

J’allais y venir, on sent parfois cette faculté presque inquiétante de raconter les sentiments et les êtres avec l’acuité d’un pic à glace, on y entend des voix épaisses qui servent des personnages, eux-aussi épais. Pour vous, c’est un héritage de la littérature américaine ?

Je me méfie beaucoup de la notion d‘épaisseur concernant les caractérisations des personnages, c’est un peu une notion fourre-tout ; dés qu’un scénario a un problème d’écriture dans l’histoire que l’on raconte, on dit que les personnages manquent d’épaisseur, quand cette histoire est bien racontée, on dit que les personnages sont épais et denses.

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Là où je comprends la notion telle que vous la formulez, c’est du côté de personnage terrien, désespérément terrien, les pieds enracinés dans le sol, « la seule chose importante, le sol que nous foulons » comme dirait Straub. Et j’y vois bien sûr un héritage de cette littérature que je lis et que je goûte particulièrement. Ce sont des gens qui viennent du réel, qui viennent de la terre... C’est presque une des constituantes majeure de l’histoire de l’esthétique aux États Unis, on le voit bien dans l’histoire du cinéma : l’expressionisme allemand était du côté de la vison, du cauchemar, déconnecté du réel. Son héritage a été en France le réalisme poétique, engendrant, là-encore, une esthétique déconnectée du réel – c’est ce que appelle la poésie chez nous !
Lorsque l’influence expressionniste est arrivée aux États Unis, c’est devenu l’âge d’or Hollywoodien, c’est à dire quelque chose de très connecté au vraisemblable, à la réalité.
Partant du même geste, les allemands était dans la vision déconnecté du réel, dans le cauchemar, la France s’est placée dans la poésie, les Américains dans le vraisemblable, dans cette culture de la réalité.

Parlons des comédiens, des voix qui habitent presque littéralement le film et la maison abandonnée du film, pourquoi Marc Barbé et Denis Lavant ?

Denis Lavant m’est apparu très vite... difficile d’expliquer pourquoi le nom de Denis m’est apparu aussi clairement et aussi vite. Difficile d’expliquer ce qui me semble être une évidence aujourd’hui... Disons que cette évidence était telle que c’est sa voix que j’entendais quand je travaillais sur le scénario. Pour le personnage de Marc, je n’avais pas d’idée préconçue. Or il se trouve que mon scénario a été sélectionné pour une lecture au festival de Pantin et que Marc Barbé l’a choisi pour le lire. C’est un scénario idéal pour une lecture, puisqu’il est écrit en voix off... et la proposition de Marc était parfaite. C’était lui. Tout simplement.

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