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Breakfast avec Ennemis intérieursde Clotilde Couturier · 09/02/2016

Dossier de Presse
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Clotilde Couturier : Comment vous est venue l’idée de réaliser Ennemis intérieurs ?

Sélim Azzazi : Au cours de ma formation d’acteur, j’ai travaillé sur des textes ayant pour cadre historique le McCarthysme dans les années 50 aux États-Unis. Je me suis passionné pour ce phénomène de « chasse aux sorcières ». Durant leurs auditions, les membres de la Commission des Affaires Anti-Américaines posaient cette question rituelle : « Are you now or have you ever been a member of the communist party? » Dans cette société américaine fragilisée par la peur, on est arrivé à exclure de la communauté ceux qui étaient soupçonnables de sympathie pour l’ennemi du fait de leur engagement au parti communiste. Le destin d’hommes et de femmes ne tenait qu’au fil ténu de cette question devenue symbolique. J’y ai réfléchi et il m’est apparu que ce qui me fascinait dans cette histoire venait du parallèle avec la guerre d’Algérie qui avait marqué mon histoire familiale. J’ai donc cherché un récit au croisement de tout ça : la guerre d’Algérie, la nécessité de définir sa loyauté patriotique, celle de définir son identité, le terrorisme, etc. L’enquête de personnalité ou « enquête d’environnement » qui fait suite à la demande de naturalisation d’un étranger en France m’a semblé en être le cadre idéal.

La situation politique en France a-t-elle changé pour ces anciens « Français » issus de la colonisation ?

Je ne sais pas. La procédure concernant les étrangers ayant perdu la nationalité après avoir été Français, puis souhaitant l’acquérir à nouveau existe toujours à ma connaissance. Cela s’appelle une ré-intégration (ça a d’ailleurs été le titre provisoire de mon film jusqu’à la sortie du film de Philippe Faucon "La désintégration" ).

Avez-vous réalisé des recherches sur les motivations des personnes réelles faisant une demande de naturalisation ?

La question de l’identité nationale a toujours été là,autour de moi, dans les deux branches de ma famille d’ailleurs. Du fait de l’indépendance, je crois que toutes les familles algériennes implantées en métropole ont été confrontées à des questions administratives touchant à la nationalité. Au sein des fratries, suivant qu’on était né avant ou après 1962, en métropole ou « en Algérie », on pouvait se trouver dans des situations très différentes. Je me suis bien évidemment intéressé à des trajectoires d’individus spécifiques à travers des lectures ou des entretiens mais j’ai avant tout puisé dans la connaissance personnelle que j’avais de ce sujet.

Vous êtes-vous renseigné sur la réalité des process à entreprendre pour obtenir une naturalisation ? Sur les fonctionnements de la police et de la prison ?

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De part mon entourage familial je connaissais un peu ce processus. Dès lors que vous avez déposé une demande de naturalisation, des vérifications vont être effectuées sur votre parcours (en particulier la vérification de votre casier judiciaire). Vous êtes convoqué pour un entretien le plus souvent dans le commissariat proche de chez vous ou éventuellement dans un commissariat central.

Vous êtes-vous aussi renseigné sur le déroulement des interrogatoires ? Comment et pourquoi avez- vous pensé la pugnacité du policier qui procède à l’interrogatoire ?

Quelques mois avant le tournage, j’ai échangé avec un commandant de police à qui j’avais fait lire le scénario. Il m’a apporté un complément de connaissances très précieux sur les éléments techniques et humains touchant au travail des fonctionnaires de police. Je suis sorti de cette discussion libéré des doutes touchant au « réalisme » de mon histoire. Pour les interrogatoires, je me suis documenté sur le travail du Renseignement affecté à la surveillance de mouvements d’extrême gauche dans les années 70 et 80. C’était un prolongement de mon intérêt pour le McCarthysme. À un moment, à force de baigner dans cette documentation, vous commencez à savoir (où vous croyez savoir...) comment pensent vos personnages. Ici, le policier attend une preuve de l’engagement patriotique du demandeur avec lequel il s’identifie du fait de leurs origines maghrébines partagées. Le policier met à priori en doute la sincérité du demandeur. Sa pugnacité vient de là et est liée à qui il est : un Français d’origine algérienne fonctionnaire de police dans les années 90 durant les attentats liés à la guerre civile algérienne.

Il y a quelque chose de très théâtral dans le duel d’ Ennemis intérieurs, avez-vous une sensibilité particulière au théâtre ?

Oui, tout à fait, j’en ai fait pas mal. C’est en suivant une formation d’acteur pour le théâtre que j’ai appris à mettre en scène et aussi – en partie – à écrire.

Et quelle place aviez-vous envie de donner aux mots dans Ennemis intérieurs ?

Évidemment, dans Ennemis intérieurs l’action passe par les mots. Je suis attiré par le huis-clos et le fait de faire se confronter mes personnages par des mots. Ce dispositif n’a rien d’original mais croyez-moi c’est très difficile !

Comment avez-vous conçu la question du « En UN mot, pour vous, devenir Français, c’est quoi ? » ? Comment peut-on réellement donner un seul mot pour définir une démarche aussi complexe ?

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C’est une question qui peut tout naturellement être soulevée par les fonctionnaires de police qui vous auditionnent et qui pourrait se poser dans ces termes : « quel sens a pour vous le fait de devenir français ? » Comme je vous le disais concernant la Commission des Affaires Anti-Américaines, le fait de mettre en accusation quelqu’un sur UN mot m’a fasciné alors je l’ai appliqué à cette question. Dans la situation d’Ennemis intérieurs, à ce moment-là le policier sait ce qu’il veut entendre et il se comporte comme un professeur qui s’efforce de guider un élève vers la bonne réponse.

Qu’est-ce que cela aurait changé de placer votre personnage dans un cadre plutôt rural que dans une grande ville ?

À première vue rien de fondamental pour moi.

Dans Ennemis intérieurs, vous questionnez la nécessité d’obtenir des réponses et donnez à voir le risque engendré par cette nécessité, qui est bien sûr d’accuser des innocents. Pourquoi vouliez-vous remettre en question cette nécessité ?

Pour ce qui me concerne, ce que je voulais surtout soulever à travers le personnage du demandeur, c’est plutôt la question de la confiance dans l’institution policière qui l’interroge pour le compte de la nation à laquelle il souhaite néanmoins appartenir. Le sentiment de justice (ou d’injustice) est ici fondamental. Si j’ai confiance, je n’ai aucune raison de craindre quoi que ce soit parce que je sais que ces questions sont là pour la sécurité de tous. Si j’ai des raisons de ne pas avoir confiance je suis en permanence sur mes gardes et je donne l’impression d’avoir quelque chose à me reprocher.

Votre personnage principal évoque un double rejet, en mettant à table le fait d’être considéré comme un étranger dans tous les pays auxquels il est lié. Pourquoi vouliez-vous lui faire exprimer ce sentiment ?

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Parce que ce sentiment est au cœur de mon personnage. Je voulais que mon film nous invite d’une certaine manière dans la vie du demandeur. D’où cette exposition un peu longue avant d’arriver véritablement au conflit. Cette exposition me paraissait indispensable pour donner du corps au personnage.

Pensez-vous que la lutte contre le terrorisme, la volonté de déjouer la mise en place d’une action de violence qui en découle, puisse engendrer des dérives comme des accusations et des dénonciations injustifiées ?

Oui bien sûr, c’est inévitable et on le voit bien aujourd’hui dans la situation que nous vivons après les attentats du 13 novembre. Les services de police s’efforcent de faire en sorte que ces accidents soient les plus rares possibles mais l’injustice ressentie lorsque ça vous arrive est dévastatrice.

Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner les relations humaines et la « méga » cellule sociétale ?

Oui bien sûr ! Dans le cas d’Ennemis intérieurs, le choix du format court n’était pas un choix par défaut. Pour moi c’était une histoire qui correspondait très bien à cette durée. Ennemis intérieurs a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française.

Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?

Pas particulièrement pour ce qui touche aux références cinématographiques (un de mes films de référence était Una pura formalità de Giuseppe Tornatore). Concernant la région, étant originaire de la région lyonnaise je voyais cette histoire se passer à Lyon. Je l’ai d’ailleurs intégré dans les dialogues (cf. références aux banlieues de Lyon). Par ailleurs la prison que je voulais intégrer au film est la prison Saint-Paul de Lyon qui n’existe plus mais dont nous avons filmé la maquette réalisée par Dan Ohlmann et exposée au Musée Miniature et Cinéma dans le Vieux Lyon. Nous avons donc naturellement sollicité l’aide de la Région Rhône-Alpes.

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Entretien avec Selim Azzazipar ciné- série, le mag

Ciné-mag : Rentrons dans le vif du sujet. Qualifieriez-vous votre film de « politique »? Si oui, pourquoi?

Sélim Azzazi : Certainement. Pour moi, tout est politique. Vous posez une caméra, vous choisissez de montrer quelqu’un en fonction de son âge, de son aspect, etc.
La manière dont vous le représentez est un choix qui a une dimension politique. Dans le cas de mon court métrage, j'aborde les thématiques de l’identité, l’histoire de France, la décolonisation, la naturalisation avec en toile de fond le terrorisme. Donc forcément, ça touche à l’actualité, ça touche à la politique.

Vous avez réalisé et scénarisé ce film qui aborde en toile de fonds la question du terrorisme algérien arrivant en France dans les années 1990. Votre scénario met en scène deux personnages, l’un subissant un interrogatoire serré alors qu’il cherche à être naturalisé (interprété par Hassam Ghancy), l’autre représentant une administration intransigeante dans ses interrogations (interprété par Najib Oudghiri), deux hommes, deux parcours différents, deux caractères opposés, dans un huit-clos et une tension permanente. Avez-vous beaucoup travaillé le scénario et la force des dialogues pour rendre votre film aussi percutant?

Le scénario s’est écrit en pointillés et ça a pris beaucoup de temps. Je suis venu à cette histoire à travers un travail que j’avais fait au théâtre sur les interrogatoires de la commission des affaires anti- américaines aux États-Unis dans les années 50, sur la « chasse au sorcières », le maccarthysme (...) La problématique m’a fasciné parce que le destin des personnages se jouait sur une question: « êtes-vous ou avez-vous déjà été membres du parti communiste? ». L’idée du format et du sujet, je l’ai trouvé là. J’ai même écrit un scénario rapidement, qui plaisait aux producteurs avec lesquels je suis associé, mais qui posait la question de la légitimité à financer un court-métrage sur une histoire qui n’est pas la nôtre et qui ne se situe pas en France. La question s’est posé de le transposer. Mon père était algérien et j’ai très vite compris que ce qui m’intéressait dans cette histoire de suspicion, et d’appartenance ou pas à la nation, c’était la notion d’ennemis intérieurs développée au cours de la Guerre d’Algérie. Le sujet qui se cachait derrière mon intérêt pour le maccarthysme, (...) c’était l‘interrogatoire lié à l’enquête de naturalisation. En l’occurrence dans ce cas précis, c’est une demande de réintégration à la nationalité, puisque mon personnage a déjà été français.

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Le scénario a reçu l’aide de la région Rhône-Alpes. puis du CNC, avec une aide à la réécriture. C’est vraiment mon premier scénario abouti. Je ne savais pas écrire, je connaissais l’écriture cinématographique, le jeu d’acteurs. J’ai bataillé pour apprendre. J’ai fait la même erreur que la plupart des néophytes : j'ai commencé par les dialogues (...) Comme je suis un peu obsessionnel, j’ai continué à muscler le scénario jusqu’au bout. Même avant le tournage, pendant les répétitions que je filmais, je ramenais à mes comédiens tous les deux jours de nouveaux textes (...) J’ai impliqué mes comédiens, en particulier Hassam Ghancy, dans cette écriture. Et puis au montage vous continuez à écrire. Vous réduisez encore, vous allez au nerf.

Votre réalisation est aboutie. Les plans serrés sur les visages, les lumières tamisées, ou encore les flous artistiques lorsque vous filmez les réunions de votre personnage principal avec ses amis. Tout cela donne un aspect très réaliste. Vous êtes-vous inspirés de votre vécu personnel?

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Pas pour ce qui touche à la partie interrogatoire. C’est un dialogue fantasmé. Le point de départ c'est le chantage à la naturalisation qui peut se pratiquer par les services de police. (...) Ce qui m'a paru intéressant c'est que ce chantage puisse impliquer deux personnes d’origine maghrébine et qui vont se frotter sur cette notion de justice et de confiance dans les institutions. Par contre pour tout ce qui touche au passé du requérant, je me suis nourri de ma mythologie familiale. Mon père était d'Algérie, il est venu en France enfant, il a lui-même vécu l’immigration de son père qui était venu travailler à Lyon. Tout ça c’est une espèce de bain familial avec ses points d’interrogation, ses flous. Ça a nourri les images "mentales", notamment le rapport au père. C'est la même chose pour les réunions : je ne suis pas croyant et je connais mal la religion musulmane, par contre j’ai le souvenir de ces réunions. C’est un peu un regard d’enfant que je porte sur ces hommes. J'ai voulu rendre un peu de dignité à ces visages. Comme je tournais à Lyon, j’ai fait appel à des membres de ma famille, des amis, etc. Donc oui il y a un côté autobiographique.

L’image, la photographie, sont impeccables pour un premier film. Pour la réalisation, vous êtes-vous fait aider?

Vous vous faites évidemment aider. Avec chaque collaborateur vous avez une relation de création. En tant que monteur son je suis moi-même collaborateur de réalisateurs. Donc je sais bien ce qu’on attend de vous. Vous avez une idée de ce que vous voulez faire et vous faites un travail de recherche à partir de photos, d'images, etc. Vous en voyez des milliers (...) et même si vous ne savez dire pourquoi, vous savez que certaines vont vous intéresser plus que les autres. Vous en faites un patchwork et après vous transmettez à votre chef opérateur, (Frédéric Serve qui est également producteur du film), chef décorateur (Françoise Arnaud), costumière (Emily Cauwet- Lafont). Ils ont les connaissances techniques (...) On en parle, on essaie : c’est un travail éminemment collaboratif. Chacun, sous votre direction, fait avancer le film. On a tourné cinq jours, trois jours les interrogatoires, deux jours les autres plans (extérieurs, réunions, etc) La prison est une maquette réalisée par Dan Ohlmann et exposée au Musée miniature et cinéma de Lyon.

Le père de votre personnage principal faisait partie du FLN, ce dernier n’y est pour rien. Le fonctionnaire de police est dans sa logique purement administrative. Est-ce cette contradiction, cette opposition que vous avez voulu filmer lors de l’interrogatoire?

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Ce qui m’intéressait c’est le fossé qu’il y a entre la réalité de ce que les gens ont vécu pendant la Guerre d’Algérie et la mythologie qu’il en reste aujourd’hui. Je pense en particulier à la récupération politique du FLN. Il me semble qu'il y a beaucoup d’algériens qui ne savaient pas, qui étaient entre les deux : ni particulièrement pour la France, ni pour l’indépendance. La situation était beaucoup plus complexe que qu'il en reste aujourd'hui (c’est-à-dire tous résistants ou tous collabos) C’est cette zone d’ombre que je voulais explorer. Ce type qui demande la naturalisation est confronté à des questions auxquelles il n’a pas voulu réfléchir. Il se sent français. Il y a des contradictions douloureuses dans sa vie. L'interrogateur appuie sur ces contradictions lourdement. Lui reste dans sa logique d'efficacité administrative.

Votre sujet traite de l’identité. L’actualité récente sur le débat de la déchéance de nationalité notamment, ancre profondément votre oeuvre dans l’actualité et lui donne une portée universelle, hors contexte. Y avez-vous pensé par la suite?

Oui pour moi le fond du sujet c’est l’identité et la manière dont on vous demande de la définir dans un cadre administratif. Le terrorisme, c’est une toile de fond. (...) Je voulais inviter les spectateurs à se mettre dans la peau de quelqu’un qui va, malgré lui être sommé de nommer des gens du fait de son origine, à cause d’un conflit dans lequel il est impliqué malgré lui. C’est vrai que ça m’intéresse toujours, notamment pour de futures fictions. Aujourd'hui on revit d’une certaine manière des débats - et nos parlementaires en sont conscients - qui étaient en jeu dans les années 60. Je pense à la guerre police-justice par exemple : on avait les mêmes interrogations en Algérie, département français, quand vous aviez les militaires qui débarquaient pour régler selon eux, un problème de sécurité. Pour eux ce qui compte c’est l’efficacité et la justice pose des freins à leur action.

Vous avez indéniablement ici la matière pour faire un long. Y songez-vous? D’autres projets en route?

Oui, j’ai plusieurs projets. Certains ont à voir un peu avec cette thématique mais dans une manière de raconter un peu différente. Et puis d’autres n’ont rien à voir (...) Je voulais faire des fictions qui nous amènent à réfléchir à notre histoire et nos mythologies. Quand je vois certains débats c’est un peu déprimant... ces jeunes issus de l’immigration qui s’invectivent, se traitent de harkis alors qu’ils connaissent plutôt mal cette histoire. L’histoire de la Guerre d’Algérie et de la décolonisation est beaucoup plus riche et complexe, et c’est très douloureux pour tout le monde (...) J’aimerais bien continuer à creuser cette question.

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